Agent de régulation économique

La gestion centralisée des droits d’exploitation des manifestations sportives est une déclinaison de la mission d’intérêt général dévolue par la loi aux fédérations et par délégation aux ligues professionnelles. Elle est le fondement du modèle sportif français et européen basé sur l’unité et la solidarité.

La centralisation de la gestion des droits commerciaux assurée par les ligues professionnelles garantissent l’existence des mécanismes de solidarité financière au sein du sport et le maintien un équilibre compétitif entre les différents participants d’une compétition.

Pour comprendre la spécificité du sport, il suffit de souligner que l’activité sportive repose sur une solidarité entre les concurrents. Un club n’a de raison d’être que s’il peut affronter d’autres clubs, un championnat ne peut être mené que si suffisamment d’équipes peuvent y participer et terminer la saison. Les résultats de chaque club sont indissociables de la participation à une compétition et à la confrontation avec ses adversaires. Pour que le spectacle recèle de l’intérêt il faut, de plus, que le résultat final soit relativement incertain. Les acteurs doivent s’assurer mutuellement de leur compétitivité.

Cette spécificité ne peut avoir de réponse de par les seules forces du marché et requiert donc une organisation particulière afin qu’un fossé ne se creuse pas entre concurrents d’une même compétition, entre les différentes divisions professionnelles, entre le sport de haut niveau et le creuset du sport amateur. Les formules de qualification, de relégation et de promotion des clubs en fonction de leurs résultats sportifs, l’organisation pyramidale du sport basée sur le principe de solidarité, la centralisation de la gestion des droits commerciaux, les conditions de structuration demandées aux clubs pour participer à une compétition, le contrôle financier de ces derniers sont autant de mécanismes sur lesquels repose le modèle sportif français mais constituent aussi les leviers qui assurent sa pérennité et sa crédibilité.

Il est de la responsabilité d’une ligue professionnelle que le niveau de développement entre les clubs de 1ère et de 2ème division ne se creuse pas de manière excessive. La redistribution des ressources mutualisées constitue, en France comme en Europe, un levier de régulation absolument essentiel à la préservation d’un niveau suffisant d’incertitude dans les compétitions et de préserver le système de relégation/promotion et de veiller de veiller que l’écart entre les différents clubs ne devienne pas irrémédiable.


La vente centralisée par l’organisateur de la compétition : une obligation légale, une nécessité sportive.

La gestion exclusive des droits d’exploitation en France par les fédérations et leurs ligues professionnelles par délégation, a été consacrée par le législateur avec la loi du 13 juillet 1992 sur le sport.

Cette gestion centralisée des droits permet :

  • une solidarité entre les clubs professionnels selon des clefs de répartition propre à chaque discipline ;
  • une solidarité vis-à-vis du sport amateur ;
  • le financement par la ligue professionnelle des partenaires sociaux de la discipline (syndicats de clubs, joueurs et entraîneurs…)

L’Autorité de la concurrence dans son avis du 25 juillet 2007 relatif aux conditions de l’exercice de la concurrence dans la commercialisation des droits sportifs, stipulait qu’en raison de l’intérêt général qui s’attache à une centralisation et une répartition solidaire, les fédérations ou les ligues professionnelles pour les compétitions relevant de leur gestion seraient chargées de commercialiser ces droits dans des conditions et limites fixées par un décret en Conseil d’État.

La mutualisation des ressources par la gestion centralisée est un fondement à laquelle le mouvement sportif est attaché. Dans son ouvrage récent «Ensemble pour un sport européen – Contribution du CNOSF sur le sport professionnel » (juin 2008), fruit des travaux de sa commission sport professionnel réunissant les fédérations et les ligue professionnelles, le CNOSF réaffirme «la nécessité d’une mutualisation des ressources déléguée par les fédérations aux ligues professionnelles pour assurer l’équilibre compétitif, d’une répartition des ressources entre les clubs, et d’une participation au financement des activités menées d’autres acteurs de la discipline (syndicats)».

Cette gestion des droits d’exploitation par les ligues professionnelles s’inscrit dans la délégation reçue des fédérations et la volonté de garantir une mutualisation des ressources entre les différents acteurs :

«Afin de garantir l'intérêt général et les principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur, les produits de la commercialisation par la ligue des droits d'exploitation des sociétés sont répartis entre la fédération, la ligue et les sociétés. La part de ces produits destinée à la fédération et celle destinée à la ligue sont fixées par la convention passée entre la fédération et la ligue professionnelle correspondante. Les produits revenant aux sociétés leur sont redistribués selon un principe de mutualisation, en tenant compte de critères arrêtés par la ligue et fondés notamment sur la solidarité existant entre les sociétés, ainsi que sur leurs performances sportives et leur notoriété» (article L.333-3 du code du Sport).

Cette mutualisation des recettes issues des droits d’exploitation permet de réguler la concurrence au sein du secteur professionnel en maintenant un équilibre compétitif entre les différents participants, ainsi que le caractère aléatoire des compétitions. Les ligues professionnelles procèdent chaque saison à une répartition des ressources financières provenant des contrats audiovisuels, de sponsoring, de publicité et de partenariat entre tous les clubs bénéficiaires, selon des critères fixés par leur Assemblée générale respective.

Les instances européennes considèrent légale et légitime la centralisation des droits commerciaux comme instrument du modèle sportif européen.

Le sport ne peut pas être régi comme une activité économique ordinaire, sous peine de porter une atteinte irrémédiable à ses valeurs sociales, éducatives, culturelles. L’article 165 du Traité de Lisbonne indique que «l'action de la Communauté vise à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l'équité et l'ouverture dans les compétitions sportives… ».

La déclaration de Nice du Conseil Européen relative aux caractéristiques spécifiques du sport et à ses fonctions sociales -première déclaration politique européenne en matière de sport- énonçait déjà que la singularité du sport devait être prise en compte dans la mise en œuvre des politiques commune soulignant à ce titre l’importance de la mutualisation des ressources pour assurer les mécanismes de solidarité.

«La vente des droits de retransmission télévisuelle constitue aujourd’hui l’une des sources de revenus les plus importantes pour certaines disciplines sportives. Le Conseil européen estime que les initiatives prises pour favoriser la mutualisation, aux niveaux appropriés et compte tenu des pratiques nationales, d’une partie des recettes provenant de cette vente, sont bénéfiques au principe de solidarité entre tous les niveaux de pratique sportive et toutes les disciplines» (article 15 de la déclaration de Nice du Conseil de l’Europe – 8 décembre 2000).

A la demande de la présidence britannique de l’Union européenne une «Etude Indépendante sur le Sport Européen » réalisée par José Luis Arnaut à été rendue publique à l’été 2006. Les conclusions de cette étude demandent que les institutions de l’Union Européenne emploient le ou les instrument(s) pertinent(s) afin d’assurer une sécurité et une couverture juridiques dans les cas liés à la commercialisation centralisée des droits. Car cette dernière constitue un mécanisme utile pour assurer une certaine redistribution financière et renforcer ainsi la structure des compétitions au sein du sport européen.

Le Parlement européen a adopté, le 29 mars 2007, une résolution sur l'avenir du football professionnel en Europe. La représentation parlementaire européenne adhère à ce principe d'une application du droit communautaire adaptée au sport pour autant que les décisions soient proportionnées et tiennent au souci de protéger la nature et la vocation du sport. Certains points majeurs pour l’organisation et l’avenir du sport européen sont rappelés et défendus dans ce texte, notamment la solidarité par la mutualisation des ressources.

«estime que la vente collective des droits de transmission télévisuelle pour toutes les compétitions est fondamental pour protéger le modèle de solidarité financière du football européen …» (article 59 de la résolution du Parlement européen sur l'avenir du football professionnel en Europe – 29 mars 2007).

«souligne qu’il est vital pour le football professionnel que les recettes tirées des droits de télévision soient réparties de manière équitable de manière à garantir la solidarité entre football professionnel et football amateur de même qu'entre les clubs en compétition…» (article 62 de la résolution du Parlement européen sur l'avenir du football professionnel en Europe – 29 mars 2007).

La Commission européenne a publié le 11 juillet 2007 le Livre blanc (européen) sur le sport, après des consultations publiques avec le mouvement sportif et les 27 Etats membres de l’Union européenne. La Commission européenne indique à son tour que le principe de solidarité (redistribution des revenus au profit du sport de masse et de l’ensemble des participants à une compétition) est une particularité de ce secteur économique, lui permettant de bénéficier d’une application circonstanciée des principes communautaires (par exemple la négociation collective des droits télévisuels).

«L'application des dispositions du traité CE en matière de concurrence à la cession des droits audiovisuels pour des manifestations sportives tient compte d'un certain nombre de facteurs spécifiques à ce domaine (…) La vente centralisée des droits peut être importante pour la redistribution des revenus et peut donc constituer un instrument au service d'une plus grande solidarité dans le sport. La Commission reconnaît l'importance d'une redistribution équitable des revenus entre les clubs, y compris les plus petits, ainsi qu'entre le sport professionnel et le sport amateur» (Livre Blanc sur le sport de la Commission européenne).

La résolution du Parlement européen, adoptée le 8 mai 2008, relative au Livre Blanc sur le sport de la Commission européenne, a pris clairement position pour la protection des droits incorporels des organisateurs des manifestations sportives dans le cadre d’une ouverture du marché des jeux et paris sportifs mais a aussi rappelé son attachement à la mutualisation des ressources et au mécanisme de la vente centralisée des droits sportifs.

«recommande aux États membres et aux fédérations sportives et ligues nationales d'introduire, là où cela n'est pas encore le cas, la vente centralisée des droits médiatiques; juge essentielle, au nom de la solidarité, une redistribution équitable des revenus entre les clubs sportifs, y compris les plus petits, au sein des ligues et entre elles, ainsi qu'entre le sport professionnel et le sport amateur, pour éviter que les grands clubs soient les seuls à retirer des bénéfices des droits médiatiques» (article 73 de la résolution du Parlement européen relative au Livre Blanc sur le sport – 8 mai 2008).

La communication de la Commission européenne «Développer la dimension européenne du sport» adoptée le 18 janvier 2011 prend encore clairement position en faveur de la vente collective des droits est présentée comme un exemple de solidarité financière et de redistribution.

Ce principe de vente centralisée des droits est compatible avec le droit communautaire si elle est justifiée non discriminatoire, et proportionnelle aux buts recherchés. A titre d’exemple, on peut se référer à la position de la Commission européenne sur le droit d’exploitation audiovisuelle de l’UEFA. Le 23 juillet 2003, la Commission européenne a publié une décision d’exemption au bénéfice de l’UEFA en l’autorisant à vendre de manière centralisée les droits audiovisuels de la Ligue des Champions. L’entorse à la libre concurrence fut considérée comme proportionnée à l’objectif poursuivi, à savoir la bonne organisation et la maximisation de l’intérêt de la compétition.